Une pionnière de la lutte aux feux de forêt
Louise Beaulieu est-elle, comme elle l’avance, la première pompière de l’histoire du Canada, la première cheffe d’équipe aussi? Ce qui est sûr, c’est qu’elle a défoncé un mur.
Denis Lord
IJL – Réseau. Presse – L’Aquilon
Différentes sources présentent Karen Morisson, de l’Île-du-Prince-Édouard, comme la première pompière professionnelle au Canada; elle aurait commencé en 1983, soit quatre ans après Louise Beaulieu. Mais qui fait autorité sur le sujet?
Mme Beaulieu semble peu se soucier qu’on accorde le titre à quelqu’un d’autre.
« On me dit toujours ça [que je suis la première] quand je suis invitée à former des pompières, commente Louise Beaulieu. Ils me veulent parce qu’on me reconnait comme la première cheffe d’équipe au Canada, qui a ouvert les portes aux femmes. […] Mais je n’ai jamais demandé de reconnaissance. Je me suis battue pour devenir pompière et une fois en place, je me considérais simplement comme un membre de l’équipe. »
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest confirme que Louise Beaulieu a été à son emploi comme pompier et qu’elle a certainement été une des premières femmes à occuper ce poste.
Non n’est pas une réponse
En 1978, Mme Beaulieu travaille comme opératrice radio et commis au pointage-paye dans un camp de pompiers près de Fort Smith.
« J’ai demandé si je pouvais être pompière à la fin de la saison et ils m’ont non, parce que j’étais une femme, raconte-t-elle. J’étais beaucoup plus petite à l’époque, je ne pesais probablement pas 100 livres. […] Mais ils ne connaissaient pas mon background. J’ai été élevée sur une ligne de trappe et j’ai été habituée au travail difficile. […] Le patron, Don Hugh, m’a dit : “On t’engagera jamais, parce que tu es une femme.” Alors, je suis retournée en 1979, comme opératrice radio. Et à toutes les fois que j’avais une chance, je retournais le voir et je lui demandais si je pouvais être pompière et il disait non. »
Louise Beaulieu n’abandonne pas. Sur une pétition, elle réunit 600 signatures de gens qui l’appuient pour qu’elle ait accès à une formation de pompier.
Deux semaines plus tard, son certificat en poche, elle retourne voir son patron. « Tu n’auras pas de travail ici, lui répond-il. Tu ne travailleras pas comme pompière ni aux TNO ni au Canada. »
« Mais quelques jours après, une équipe de pompiers de Fort Smith est venue frapper à ma porte, se rappelle Louise Beaulieu. Ils cherchaient pour des pompiers d’urgence. J’ai préparé mes affaires et je suis partie comme pompière volontaire. À la fin de la saison, en 1979, j’étais la première cheffe d’équipe féminine. J’étais là tout l’été. La saison commençait en mai, on ne finissait pas avant la fin octobre. On avait des camps, à Sioux Lake, Powder Lake et Porter Lake. »
Acceptation
Louise Beaulieu affirme qu’une fois en poste, elle était acceptée. « Les équipes de Fort Smith, les gens avec qui j’avais grandi étaient très respectueux, assure-t-elle. Le problème était avec les pilotes d’hélicoptère, les ingénieurs ou les gens dans les bureaux de la foresterie, qui ne me voyaient pas comme un pompier. Ils ont essayé de se débarrasser de moi, mais je me suis accrochée. […] J’étais plus ou moins un des gars. On était comme une grosse famille; si un de nous avait un problème, on l’aidait. À la fin de la saison, j’étais cheffe d’équipe, la seule femme opérant une équipe d’hommes. Ensuite, après avoir voyagé partout au Canada, je suis devenue cheffe des pompiers. »
Dans la lutte contre les feux de forêt, explique Mme Beaulieu, un chef des pompiers est responsable du camp de pompiers et de la lutte contre les incendies.
« Tu décides qui est dans le camp, combien d’équipes et quel type d’hélicoptère tu as, si tu as des ingénieurs, des bombardiers, précise-t-elle. Tu prends les décisions sur la manière de combattre un feu, de diriger les gens. »
Autres femmes
À son tour, Louise Beaulieu a ouvert la porte à d’autres femmes, avec un sentiment mitigé.
« J’ai commencé à former d’autres femmes quand je suis devenue cheffe d’équipe, raconte la citoyenne de Fort Smith. D’autres femmes ont joint l’équipe en 1982. J’étais heureuse d’avoir des collègues féminines. Mais j’avais un peu peur, parce que quelques femmes avaient une réputation et je ne voulais pas que ça arrive sur la ligne de feu. Finalement, elles n’ont pas duré. Aucune n’est restée plus de quatre ou cinq ans. […] À l’époque, on partait pour 21 jours et plus. […] On s’est rendu compte que quand on partait pour deux ou trois semaines, on perdait certaines de nos pompières, parce qu’elle avait des familles. C’était différent pour les gars. »
Motivation et danger
Louise Beaulieu dit avoir pris sa retraite en 2005, après presque 30 années de sa vie à combattre les feux de forêt. Sa motivation était plus forte que les dangers du métier, que les drames qu’elle a vécus.
« Je ne trouvais pas ça épeurant, assure-t-elle. […] Comme j’avais été élevée sur une ligne de trappe et que j’avais beaucoup voyagé dans la forêt, j’étais très familière avec la nature. C’est comme ça que je voyais mon travail, protéger la forêt […] protéger les gens qui vivaient dans la forêt. Ce n’était pas tellement pour l’argent, parce qu’on n’en gagnait pas beaucoup. »Elle a pourtant vu, dit-elle, un membre de son équipe se faire couper la tête par une hélice d’hélicoptère, des bombardiers faire une collision frontale, des hélicoptères s’écraser. Elle-même a été sauvée par un pilote lors de l’incendie du barrage de Talston, en 1998, alors qu’elle était en train de perdre connaissance.
« Tu fais face à toutes sortes de problèmes, tu ne t’attends jamais au pire, mais le danger est tout le temps là », résume Louise Beaulieu.
Les temps ont changé
Louise Beaulieu porte un regard critique sur les changements apportés au fil des ans dans le recrutement, la formation et le travail de pompiers forestiers.
« À l’époque, dans la mesure où tu étais un trappeur ou un chasseur et que tu savais te servir d’une pelle, d’un pulaski ou d’une pompe à tuyau, tu étais engagé. […] On n’avait pas ces barrières d’aujourd’hui, où tu deviens un expert en incendie en regardant un ordinateur. S’il y avait un gros feu comme celui de 2023, on nous permettait d’aller dans les bars et dans la rue pour engager les gens dont nous avions besoin. Aujourd’hui, on ne te laisserait pas faire ça. On n’avait pas d’internet, pas de cellulaire. Les gens voulaient combattre les incendies. Ce n’était pas pour l’argent, je pense qu’on faisait 12 $ de l’heure quand j’ai commencé. Aujourd’hui, ils engagent des jeunes qui, ne connaissant pas la terre. »
Selon un recensement datant de 2022 de l’Association canadienne des chefs de pompiers, 11 % des pompiers (y compris volontaires), sont des femmes.
Les propos de Mme Beaulieu ont été édités et synthétisés pour faciliter leur lecture.
Comments