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Marie-Soleil Desautels

La biodiversité malmenée aux TNO

Décembre dernier, lors de la COP15, un cadre mondial a été adopté pour préserver la nature et renverser la perte de diversité biologique – une menace bien présente aux TNO. Suzanne Carrière, biologiste de la faune et de la biodiversité pour le gouvernement territorial, répond à nos questions.

Certaines populations, comme le caribou de Peary, se portent mieux, mais certains troupeaux de caribous migrateurs ont baissé de 98 % au cours des 20 dernières années. (Crédit photo : J. Nagy – GTNO)


Médias ténois : Quelle est la menace la plus importante pour la biodiversité aux Territoires du Nord-Ouest ?


Suzanne Carrière : Ce sont les changements climatiques qui, vraiment, de bord en bord, influencent presque toutes nos espèces. Les modifications d’habitats, comme l’assèchement de marécages, les routes, les coupes forestières, les mines, etc., tout ça mis ensemble, ça a moins d’impacts sur les espèces en voie de disparition que les changements climatiques.

Comment observez-vous l’impact des changements climatiques sur la biodiversité ?


L’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste de la planète, alors on y observe souvent un phénomène de « mismatch » [NDLR: Décalage phénologique]. Par exemple, des oiseaux migrateurs qui doivent revenir dans le Nord prendront leurs indices pour savoir quand migrer là où ils sont, c’est-à-dire dans le Sud. Mais quand ils arrivent finalement dans le Nord, il est trop tard par rapport à l’environnement nordique, même s’ils sont partis plus tôt. La saison est trop avancée et les oiseaux manquent la fenêtre où il y a un maximum d’insectes. Ils ont donc moins de succès pour la ponte des œufs et pour élever leurs petits et ce, année après année. Certaines années, ça ira, mais pour plusieurs, non. Les populations des oiseaux migrateurs [NDLR: Ils représentent 87 % des espèces d’oiseaux qui se reproduisent aux TNO] déclinent.


Aussi, nos hivers sont plus bizarres. Il fait plus chaud, pleut ou neige beaucoup, ce qui est inhabituel. Les animaux ne sont pas adaptés. Les grands froids tuent également les parasites ou les espèces nuisibles qui mangent nos forêts ou s’attaquent aux animaux, mais il y en a de moins en moins. Les changements climatiques enlèvent cette protection.


L’habitat estival a lui aussi changé, ce qui est très difficile pour les animaux habitués à des températures froides. On peut avoir de grosses canicules dans la toundra, ce qu’on n’avait pas avant. Et des animaux, on ne sait même pas pourquoi, meurent. Les caribous, par exemple, sont très susceptibles aux canicules estivales. On va retrouver des caribous morts en été et l’on ne sait pas exactement pourquoi. Des fois, on sait que c’est à cause de nouvelles maladies ou de maladies qui étaient déjà là, mais qui réagissent différemment à cause de l’environnement qui change.

Seulement 27 % de toutes les espèces des TNO sont classées, soit un nombre de 8228 espèces, et il n’y a que très peu d’informations sur les 73 % restants (plus de 21 000 espèces). Quels défis cela pose-t-il ?


La plupart des espèces pour lesquelles on n’a pas assez d’information sont des arthropodes, soit des insectes. On a un nom, une taxinomie et l’on sait seulement qu’ils ont déjà été récoltés aux TNO. Ce n’est pas juste un problème au territoire, mais à travers le Canada, car il y a très peu de spécialistes. On sait qu’il y a des changements, mais on ne sait pas ce qui s’y passe. On marche les yeux fermés.


C’est comme s’il n’y avait pas de problème, mais c’est seulement parce qu’on ne le voit pas. Le problème apparait quand il y a une mortalité de forêt sans qu’on sache pourquoi ou quand des animaux meurent sans qu’on sache pourquoi. Des fois, une nouvelle espèce dans un milieu n’aura pas nécessairement d’effet négatif sur l’écosystème et, d’autres fois, elle va faire une grosse différence et tuer une espèce entière d’arbre. Alors, on reste dans l’ignorance jusqu’à tant qu’il se passe quelque chose de vraiment drastique. On est toujours en retard et, être en retard, c’est très fatigant !


Cela dit, de plus en plus de caméras et d’appareils d’enregistrement acoustique nous aident à collecter de l’information sur les mammifères et les oiseaux [NDLR: Depuis mars 2020, le GTNO a utilisé près de 1000 de ces dispositifs et environ 200 sont actuellement actifs].

Quel est le groupe d’espèces le plus à risque de disparaitre aux TNO ?


Ce sont les amphibiens, car on n’en a pas beaucoup et ils sont presque déjà tous à la limite de leur distribution. Leur problème, c’est les maladies et celles-ci profitent des hivers moins rudes. Elles peuvent faire disparaitre une population complète d’amphibiens en un seul été. Les oiseaux migrateurs insectivores, les oiseaux de rivage et les oiseaux des prairies sont aussi en déclin rapide, car il y a de moins en moins d’insectes dans le Nord. Le fameux nord avec les moustiques partout n’existe plus. On va dans la toundra et il n’y a pas de moustiques. C’est très, très bizarre. Ça fait 27 ans que je suis aux TNO et c’est très épeurant. Les Ténois ne s’en plaignent pas, mais certains réalisent à quel point c’est particulier. Les insectes forment la plus grande biomasse de biodiversité dans le monde. Quand ils sont affectés, un bouleversement drastique des écosystèmes peut suivre.

Quand on pense à la biodiversité aux TNO, les caribous nous viennent en tête. Comment vont-ils ?


Les cinq types de caribous aux TNO ont été confrontés à des problèmes de conservation. Certaines populations se portent mieux, comme le caribou de Peary, ou montrent des signes de rétablissement, mais d’autres continuent de décliner. Il y a environ de 5 à 10 % des écotypes qui ne sont pas en déclin. Certains troupeaux de caribous migrateurs ont baissé de 98 % au cours des 20 dernières années. Ça ne va pas très bien, malheureusement.

Le plus récent Plan d’action sur la biodiversité des TNO a été publié en 2006. Pourquoi n’y en a-t-il pas eu depuis ?


Une équipe de la biodiversité des TNO a été formée il y a une vingtaine d’années pour faire un Plan d’action à partir de la Stratégie canadienne sur la biodiversité, celle-ci élaborée en 1995. Le premier Plan d’action sur la biodiversité aux TNO a été publié en 2004, puis un autre en 2006. L’équipe devait en faire d’autres, mais la Stratégie canadienne n’a jamais été renouvelée. Au lieu de faire sa propre stratégie sur la biodiversité, le gouvernement territorial a choisi d’investir ses efforts dans une stratégie sur les changements climatiques et une autre sur l’eau, des sujets qui incluent la protection de la biodiversité.

Une espèce sur 100 aux TNO risque de disparaitre ou de s’éteindre au cours des 100 prochaines années, selon le Rapport 2022 sur l’état de l’environnement aux TNO et neuf des espèces en péril aux TNO continuent de voir leur population décliner. Que peuvent faire les Ténois ?


On peut participer à la solution en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre. C’est sûr que ça peut être déprimant, mais on est en train de parler d’avoir une université, d’avoir plus de parcs [NDLR: En 2021, 12,7 % des TNO se trouvaient dans des zones protégées et 4,6 % dans des zones de conservation et l’accord de la COP15 prévoit la protection de 30 % des terres et des océans d’ici 2030] et de vraiment faire partie de la solution pour les changements climatiques.


Les Ténois peuvent aussi bonifier nos connaissances sur la biodiversité en prenant des photos de plantes, d’animaux, d’insectes, etc., et en mettant le tout sur la plateforme en ligne iNaturalist.ca ou en échangeant sur notre site Facebook. C’est amusant de contribuer à iNaturalist.ca et c’est accessible à tous !


NOTE : Les propos ont été édités pour plus de clarté.

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