Hydrocarbures: règles modernes pour secteur en déclin
Six ans après la dévolution de la responsabilité des terres au gouvernement territorial, de nouvelles règles conçues dans le Nord sont adoptées pour l’industrie pétrolière et gazière. Mais ces changements surviennent-ils trop tard ?
Thomas Ethier — IJL — Territoires
C’est maintenant officiel : le public aura désormais accès à la vaste majorité des renseignements que les entreprises d’extraction pétrolière et gazière sont tenues par la loi de divulguer au GTNO ou à l’organisme de règlementation des opérations pétrolières et gazières. C’est ce qu’imposent les nouvelles lois régissant les activités pétrolières et gazières, conçues par le GTNO et entrées en vigueur le 23 juillet.
Par exemple, lorsqu’une fracturation hydraulique sera effectuée sur un lieu d’extraction, toutes les informations entourant l’opération — incluant les ingrédients qui composent le fluide injecté, le lieu et la date de l’opération, la profondeur du forage ou la quantité d’eau injectée — devront être divulguées au public dans les 30 jours suivant la fin des activités d’extraction.
Or, cette nouvelle règlementation, tout comme les efforts de promotion de l’industrie pétrolière et gazière faite par le GTNO, intervient à un moment charnière pour ce secteur. Si bien qu’aux yeux de l’analyste énergétique Doug Matthews, ces efforts pourraient vraisemblablement n’être « qu’un coup d’épée dans l’eau ».
Quel avenir pour l’industrie ?
« Nous sommes en fait très enthousiastes quant au futur de l’industrie du pétrole et du gaz aux TNO, pas seulement d’un point de vu local, mais aussi pour l’exportation », affirme la ministre de l’Industrie, du Tourisme et de l’Investissement, Katrina Nokleby, en entrevue à Radio Taïga.
En 2014, le GTNO obtenait du fédéral la responsabilité des terres et donc l’administration des activités pétrolières et gazières du territoire. Depuis, il appartient aux élus du territoire de redéfinir les paramètres du régime hérité du fédéral. « Nous avons besoin de moderniser nos lois et règlementations afin d’être plus compétitifs sur le plan mondial et au sein du Canada », souligne la ministre.
Pour Doug Matthews, bien que cette situation soit souhaitable, elle survient probablement trop tard. « L’avantage de telles règles, c’est qu’elles ont été développées aux TNO, et non pas à Ottawa, comme c’était le cas avant 2014. C’est un pas dans la bonne direction, mais ça revient un peu à mettre en œuvre de nouvelles lois pour une industrie moribonde. Je ne pense pas qu’on va voir des compagnies extractrices de pétrole et de gaz revenir dans le Nord. Ça n’arrivera possiblement jamais », avance-t-il.
Un point de vue que partage le député de Frame Lake, Kevin O’Reilly. Celui qui a longtemps œuvré comme consultant en surveillance environnementale a aussi milité pour un contrôle serré de cette industrie.
« Il n’y a aucun intérêt en exploration en ce moment, soutient le député, qui prône une transition vers des sources d’énergie durables. D’une part, les prix sont si bas, c’est beaucoup plus facile de trouver du gaz et du pétrole ailleurs dans le monde. Par ailleurs les gens se tournent vers d’autres formes d’énergie. Je ne pense pas que cette industrie va revenir aux TNO ni qu’elle devrait y revenir », tranche-t-il.
Chute de la demande
Selon les données du Bureau des statistiques des TNO, la production de gaz naturel suit une pente descendante depuis 2002 : la production était alors de 1 197 millions de m3 ; en 2019, elle atteignait 72 millions de m3. La production de pétrole a, pour sa part, chuté de moitié depuis 2014, passant de 405 792 milliers de m3 à 200 354 milliers de m3 en 2019.
Le déclin du secteur gazier a pris un tournant décisif avec l’abandon du Projet Gazier du Mackenzie en 2017. Le mégaprojet de gazoduc entre le delta du Mackenzie et l’Alberta, au cout estimé de 16 milliards $, a été abandonné par ses promoteurs. On indiquait alors qu’un tel projet n’était plus justifié, en raison des prix du gaz naturel.
M. Matthews, qui s’intéresse depuis de nombreuses années au secteur gazier des TNO, explique cette situation en partie par la compétition féroce d’autres sources de combustibles fossiles, comme la fracturation hydraulique, ainsi que par une transition vers une économie de sources d’énergie alternatives. Selon lui, la COVID-19 pourrait également avoir un impact sur le futur de l’industrie.
« La COVID-19 a provoqué une importante chute de la demande, et je ne suis pas certain que toute cette demande va revenir une fois le virus sous contrôle, avance-t-il. Je ne suis malheureusement pas très optimiste quant au retour d’une telle industrie aux TNO. »
Un point de vue que ne partage pas la ministre Nokleby, qui fonde des espoirs sur un financement d’Ottawa au terme de la pandémie. « Je crois que la COVID a mis en lumière la dépendance du Canda en son secteur des ressources, indique-t-elle, et il importe que nos activités d’extraction se poursuivent après la COVID. C’est notre principal devoir. Je suis donc très investie dans l’évolution de ce secteur. »
Les efforts du GTNO
Comme l’explique la ministre, la stratégie préconisée par le GTNO consiste à exporter le pétrole extrait de la région de Beaufort-Delta, pour cibler, notamment, les marchés asiatiques. « Tout est présentement très volatile sur le plan de l’économie mondiale, concède-t-elle. Mais nous allons nous assurer d’être prêts à exporter si les choses redeviennent favorables. »
Le ministère ITI estime que les TNO pourraient détenir jusqu’à 37 % des ressources nationales commercialisables en pétrole brut léger et 35 % des ressources commercialisables en gaz naturel.
« Faire la promotion de cette industrie fait partie du mandat du ministère, je ne vais pas les critiquer pour ce travail, commente Doug Matthews. Ce que j’affirme, c’est qu’il se peut que ce soit un coup d’épée dans l’eau ! Ces efforts, malgré toutes les bonnes intentions qui les sous-tendent, pourraient ultimement être vains. »
« Ces ressources naturelles représentent une source de revenus importante pour le GTNO, ajoute-t-il, ainsi que pour les gouvernements autochtones. L’absence de ces revenus exerce une pression sur ces gouvernements. »
Nouvelles règles : « un début »
À l’heure actuelle, Kevin O’Reilly concède que les règles qui encadrent l’industrie pétrolière et gazière font bel et bien leur chemin depuis leur dévolution au GTNO. Or, la nouvelle transparence accrue des informations entourant les activités de ces industries ne représente pour lui qu’un début.
Pour le député de Frame Lake, d’autres améliorations au régime pétrolier sont nécessaires, comme d’augmenter les garanties environnementales imposées aux pétrolières pour la décontamination des sites. « Le gouvernement fédéral a modifié ce plafond pour l’exploitation en mer, qui atteint désormais environ 1 milliard $, note Kevin O’Reilly. Le GTNO ne l’a pas encore changé sur les terres qu’il contrôle. La ministre pourrait le faire sur-le-champ, comme le prévoit le règlement, mais ne l’a pas encore fait. Il ne s’agit pas d’un développement énergétique responsable. »
« Certains changements à la loi sont appréciables, concède le député. Nous avons tranquillement commencé à faire bouger les choses dans la bonne direction, vers des décisions plus transparentes. Il reste à voir comment ces règles seront appliquées. À ce chapitre, le diable sera dans les détails ! »
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