Grand lac des Esclaves : une histoire de pêche commerciale
Fran Hurcomb vit dans le Woodyard depuis près de 50 ans. Pendant huit ans, l’auteure a fait des recherches d’archives et s’est entretenue avec d’anciens pêcheurs. Chasing Fish combine un récit historique écrit et des centaines de photos.
Tous les jours, pendant près de 50 ans, Fran Hurcomb s’est rendue au Grand lac des Esclaves. En 1975, elle s’installe dans la vieille ville de Yellowknife et, deux ans plus tard, elle décide de créer une équipe de chiens de traineau. « C’est là que je me suis rendu compte qu’il me fallait apprendre à pêcher pour les nourrir », raconte-t-elle. « J’habite au Woodyard et certains de mes voisins étaient des pêcheurs commerciaux, c’est avec eux que j’ai appris à pêcher ». En peu de temps, Mme Hurcomb a été « fascinée par le mode de vie des pêcheurs ».
Les années sont passées et, Fran, qui avait déjà publié quelques livres, a décidé d’en écrire un autre, cette fois-ci sur l’histoire de la pêche sur le lac. « Je pensais que ce serait facile, mais ça ne l’a pas été », dit-elle d’un ton amusé.
Afin de mener à bien ce nouveau projet, elle a passé huit ans à faire des recherches sur le sujet, à l’aide d’archives, de musées et de bibliothèques. Peu à peu, elle s’est rendu compte que ce ne serait pas si facile. Elle a contacté plusieurs personnes et a écouté de nombreuses histoires. Les sources pour les périodes antérieures aux années 1940 étaient cependant rares. « Il n’y avait pas beaucoup d’informations, se rappelle l’auteure. Il y a très peu d’écrits sur le Grand lac des Esclaves. Presque rien sur son histoire. On peut trouver de petites choses ici et là, mais il n’y a pas de livres ». Cela ne l’a pas découragé. Au contraire. « Fascinant » est le mot qu’elle utilise pour décrire ce manque d’information. « C’est là que je me suis rendu compte que ce livre pourrait être important », ajoute-t-elle.
Le manque de données sur la pêche précédant les années 1940 s’explique par le fait que ce n’est qu’à cette époque que la pêche commerciale a commencé sur le Grand lac des Esclaves. La transition de la pêche locale à la pêche industrielle se serait amorcée avec la Seconde Guerre mondiale. « La demande de poisson en conserve et [de poisson] salé a fortement augmenté partout en Amérique du Nord, car la viande était rationnée et expédiée aux forces militaires », rapporte Mme Hurcomb.
Les pêcheurs ont toujours été présents au Grand lac des Esclaves. Le poisson a été l’aliment de base des peuples autochtones de la région depuis leur arrivée sur ces rives, il y a de cela environ 10 000 ans. Bien que de nombreux groupes préféraient le gibier sauvage comme le caribou et l’orignal, « ces animaux sont souvent imprévisibles et c’était plus facile d’attraper du poisson » observe l’écrivaine. Pour les cultures dénées du Nord, « le poisson a toujours été une source fiable de nourriture en toutes saisons et un élément clé de la subsistance », peut-on lire dans le livre.
Mme Hurcomb a été « fascinée par le mode de vie des pêcheurs » et a passé huit ans à faire des recherches pour écrire le livre. (Crédit photo : Cristiano Pereira)
C’est vers 1945 que la croissance exponentielle de la pêche commerciale a eu lieu. « Tout d’un coup, les compagnies de pêche se sont rendu compte qu’elles pouvaient vendre plus de poisson, raconte Fran Hurcomb. Elles ont vu ce lac et elles ont commencé à contacter le gouvernement pour obtenir une licence pour y pêcher. Le gouvernement a dit que nous devrions d’abord faire une étude et voir si ce serait une bonne idée. Ils ont alors envoyé une équipe pour faire des recherches pendant tout un été. Ils en ont ainsi conclu qu’il y avait assez de poisson ici pour l’industrie de la pêche commerciale. » À partir de là, tout est allé très vite.
Au cours des décennies qui ont suivi, plusieurs usines de traitement de poisson sont apparues autour du lac, mais elles ont fini par être démantelées. Il n’en reste plus qu’une, à Hay River, « qui est maintenant à peine utilisée ».
De nouveaux projets pour la pêche
Un vent de changement semble cependant souffler. En janvier de 2021, le GTNO a annoncé l’ouverture de la pêche hivernale commerciale dans le Grand lac des Esclaves, pour la première fois en quinze ans.
Des plans sont faits pour un renouveau de la pêche commerciale. Au printemps prochain, on prévoit l’ouverture d’une nouvelle usine de traitement du poisson à Hay River. « L’usine va être détenue et exploitée par un groupe de pêcheurs appelés Tu Cho Fishers Cooperative », explique Fran Hurcomb. L’écrivaine croit que la revitalisation de la pêche commerciale peut commencer par là. « Je pense que l’Alberta va être un énorme marché », prédit-elle.
L’auteure du livre rappelle que « les réserves de poissons dans le lac sont bonnes, et le nombre de poissons n’a pas baissé ». Elle note qu’« il y a quelques usines de poisson autour, mais qu’elles sont vraiment petites, destinées au marché local, ce qui est bien aussi ». Mme Hurcomb ajoute également que l’approvisionnement en poisson autour du lac n’a jamais été un problème. « Ici, les gens vendent du poisson partout. »
Si le récit du livre se suffit à lui-même, les photos ne sont pas en reste. Fran Hurcomb avoue qu’il a été difficile de trouver des photos de certaines époques, comme les années 1960. « Il n’y en a presque pas, observe-t-elle. Les gens n’avaient pas d’appareils photo. J’ai eu au moins trois personnes qui m’ont dit qu’elles avaient perdu leurs photos lorsque leurs maisons ont brulé. »
Malgré tout, le livre parvient à être très illustré. L’ouvrage compte près de 300 illustrations.
« Pour ceux qui ne veulent pas lire le livre entier, ce n’est pas grave, rassure l’auteure. Les images peuvent aussi raconter l’histoire. »
Actuellement, 25 espèces de poissons ont été identifiées sur le lac, dont seulement cinq ont été reconnues comme ayant une valeur commerciale. Le corégone (whitefish) et le touladi (truite grise) sont les espèces dominantes, dont la première constitue environ 40 % de la population de poissons. Ces deux espèces constituent l’essentiel des prises commerciales sur le lac, bien que le brochet, l’omble chevalier et l’inconnu soient également valorisés. D’autres espèces, comme les meuniers et la morue-lingue, sont appelées des poissons « bruts » et n’ont pas été commercialisées à l’extérieur des Territoires du Nord-Ouest.
Le livre Chasing Fish, publié par Old Town Press, peut être trouvé à la librairie Book Cellar de Yellowknife.
Comments