Amber O’Reilly présente Annie et Tom au public ténois
Première œuvre théâtrale de l’auteure franco-ténoise Amber O’Reilly, Annie et Tom, du lundi au vendredi sera présentée au NACC le 17 février.
Thomas Ethier – IJL – Territoires
L’équipe de production a dû relever un défi inattendu à l’été 2021, alors que la représentation de la pièce a dû être annulée. (Crédit photo : Jonathan Lorange)
Dans sa forme comme dans son propos, l’œuvre semble dépeindre deux années de pandémie. C’est pourtant en 2018, ère d’une relative normalité, que l’auteure Amber O’Reilly a entamé l’écriture d’Annie et Tom, du lundi au vendredi, une histoire d’amour, de rêve et de monotonie douloureusement moderne.
D’abord vouée à être jouée sur les planches du pays, la pièce a été adaptée et transposée à l’écran, solution de survie imposée par les règles sanitaires, et matérialisée notamment par la metteuse en scène Marie-Ève Fontaine. Loin de se limiter aux trépieds, les créatrices ont opté pour des scènes dynamiques et intimistes, sacrifiant certains éléments du concept original au profit d’effets visuels uniquement possibles par caméra.
Médias ténois en a discuté avec Amber O’Reilly et Marie-Ève Fontaine.
Médias ténois : La pièce est écrite pour être jouée devant public. Comment s’est déroulée l’adaptation à l’écran, en matière de limites et de nouvelles possibilités ?
Marie-Ève Fontaine : Nous allions présenter la pièce au Théatre Cercle Molière, au Manitoba, à l’été 2021. Trois semaines avant la date prévue, nous ne savions toujours pas si nous allions pouvoir accueillir un public. Le Cercle Molière, notre coproducteur, a décidé d’annuler les représentations. Plusieurs personnes travaillent sur ce type de productions et il aurait été difficile de la reporter.
C’est pourquoi nous avons décidé d’en faire une œuvre vidéo. Pendant la pandémie, en tant qu’artiste, nous avons dû nous réinventer, penser à de nouvelles manières de diffuser nos œuvres. Pour moi, c’est un peu le point culminant de tout ça. Ça a été un immense apprentissage à propos de ce qu’offrent le théâtre et l’écran.
Comment les deux plateformes peuvent-elles se parler ? Parfois, on peut parler de vases communicants, mais nous avons certainement dû adapter certains éléments, en réalisant que certaines conventions théâtrales ne fonctionnaient pas à l’écran. Ce fut un immense défi. Je pense que le produit final témoigne de toute cette expérience.
Amber O’Reilly : Au fil du récit, les plans se resserrent, pour traduire la tension qui augmente entre les personnages et de ce sentiment de confinement que l’on peut ressentir dans une relation amoureuse. À l’origine, nous allions rapprocher les éléments du décor, de scène en scène, pour que les murs se resserrent autour du couple. Cet élément était difficilement transposable à l’écran.
Nous avons donc décidé de resserrer les plans sur les visages des personnages, chose qu’on ne peut pas faire au théâtre. On ne s’en rend peut-être pas compte comme spectateurs en visionnant la pièce, mais on finit par se sentir un peu pris. Puis on revient au plan très large, ce qui nous permet de reprendre notre souffle, de respirer de nouveau. C’est du moins l’effet que nous avons tenté de créer. Au spectateur de nous dire si ça fonctionne !
Mt : Mme O’Reilly, dans la description de la pièce, vous dites vouloir raconter les maux et les amours de votre génération. Quelle est votre perception de la chose ? Qu’est-ce que vous vouliez raconter ?
A.O : C’est une version d’une expérience que j’ai vécue. Je voulais exposer et décortiquer la monotonie qui peut s’installer dans une relation à long terme, le tout, exacerbé par le capitalisme. Disons-nous les vraies choses, nous vivons dans une société capitaliste, et je dirais que notre génération en souffre.
Je voulais parler de cette intersection à laquelle un couple est confronté, lorsque s’installent la monotonie et cette sorte de désespoir que l’on peut vivre lorsque l’on peine à atteindre nos rêves. Le rêve est l’un des éléments les plus importants du texte. Nous avons tous des rêves très personnels, très banals, qui nous amènent malgré tout à fantasmer.
Janique Freynet-Gagné et Lacina Lasso Dembélé se donnent la répliquent
dans les rôles d’Annie et de Tom. (Crédit photo : Jonathan Lorange)
M.È.-F. : Personnellement, ce qui m’a attiré vers cette pièce – en plus de l’occasion de travailler avec Amber –, c’était la dichotomie entre le rêve et la réalité telle que vécue par les personnages.
Ils sont constamment en train de parler de leurs souhaits, et retombent avec fracas dans leur vie quotidienne.
C’est difficile à regarder. Je crois qu’on vit tout cela, en quelque sorte. Nous avons tous des rêves flyés qu’on ne peut atteindre. Toutes sortes de limites s’imposent, comme des engagements, des responsabilités, des limites financières, ou encore la COVID-19. Comment est-ce qu’on se réconcilie avec notre réalité ? Cela m’a fait du bien de voir ces personnages explorer cette dichotomie.
Je tiens aussi à souligner l’ironie du format. La pièce parle de cyberdépendance. L’œuvre critique beaucoup le fait d’être toujours collés à nos écrans, puis finalement, nous en faisons un film, et la pièce est présentée sur écran (rires) ! Même pour nous, il y avait là quelque chose de drôle et d’ironique là-dedans. Il était aussi important pour nous que les spectateurs soient assis ensemble dans la même salle pour la regarder et vivre une expérience collective.
M.T. : Contrairement à une œuvre présentée devant public, la pièce est maintien encapsulé, définitive. Comment se porte-t-elle ? Comment a-t-elle été reçue jusqu’à maintenant ?
A.O : Ce qui ressort pour moi, ce sont les commentaires de membres de notre génération, qui se sont tout de suite vus dans Annie et Tom. C’était un peu l’objectif de créer une œuvre qui pourrait raconter nos réalités, et, peut-être, générer un peu d’espoirs. L’entretien du rêve est une chose qui s’impose dans la pièce.
M.È.-F. : Toutes les facettes de ce projet représentaient une grande première, et le public doit également en être conscient. Amber signe sa première pièce de théâtre intégrale. Pour ma part, il s’agit de ma première mise en scène avec comédiens professionnels. C’est la première fois que quiconque dans l’équipe travaille à transposer une pièce d’abord vouée à être présentée en salle pour en faire un film !
La pièce n’est pas parfaite, nous avons fait un film avec un budget de théâtre, ce qui est très rare. Je crois que nous devons vraiment être fiers de l’existence de cette œuvre. Comme vous le dites, elle est maintenant encapsulée. Nous avons la preuve de ce que peut réaliser une bande d’artistes professionnels émergeant avec un petit budget, en plaine pandémie ! Je crois que nous avons planté des graines pour la carrière d’Amber, de nos comédiens et de plusieurs concepteurs. Ce n’est qu’un début.
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