Élections présidentielles: craintes et appréhensions chez les Franco-Américains
Ils sont nerveux, modérément optimistes, mais aussi craintifs face à l’après-scrutin, appréhendant même des actes de violence. Des francophones vivant aux États-Unis, interrogés sur cette campagne électorale présidentielle hors de l’ordinaire, sont sur les dents.
Marc Poirier – FRANCOPRESSE
«C’est assez inquiétant tout ce qui se passe. Ce sont des choses que je vois venir depuis deux ans. C’était écrit sur le mur depuis le début.»
Le Louisianais Joseph Dunn avait prévu l’élection de Donald Trump en 2016. Il entrevoit maintenant le pire advenant sa défaite. « Ça risque de barder ici. Ça risque vraiment de chauffer. Je crains des violences. »
« Ça risque de barder ici. Ça risque vraiment de chauffer. Je crains des violences », s’inquiète le Louisianais Joseph Dunn, consultant et activiste francocréolophone.
(Courtoisie Joseph Dunn)
Les ancêtres de Joseph Dunn sont arrivés en Louisiane au début du 18e siècle, avant les Acadiens. Habitant de La Nouvelle-Orléans, il est consultant en communications et promoteur touristique. Il a œuvré dans plusieurs institutions publiques, dont comme directeur général du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL), l’agence gouvernementale qui promeut le français en Louisiane. Il est un ardent défenseur du fait français et créole dans l’État.
M. Dunn se désole de voir son pays devenu une espèce de Far West des temps modernes, avec la prolifération des armes qui ne cesse d’augmenter. « Mardi prochain, on risque de voir des gens armés autour des bureaux de vote pour contrôler les entrées. Il n’y a aucun système pour gérer ces situations. »
Alain Charbonnier : on ne sait jamais avec Trump
« Si on regarde les sondages d’une façon générale, il y a quand même une bonne chance que Biden l’emporte. Mais c’est vrai que le système électoral aux États-Unis est un système très particulier, avec le collège électoral. »
« Clairement, il n’y a aucune chance que Trump l’emporte sur les voix. Maintenant, arrivera-t-il, avec les États clés, à trouver le minimum pour pouvoir être élu quand même? C’est une bonne question. »
Alain Charbonnier demeure depuis cinq ans à Los Angeles, où il a fondé MyExpat.US, une entreprise qui offre des services de consultation aux expatriés. Lui-même Belge, il avait déjà vécu auparavant aux États-Unis et travaillé comme cadre pour des sociétés de la Silicone Valley.
Installé à Los Angeles un an avant l’élection de Donald Trump, il a assisté à l’arrivée d’un président qui n’avait aucune expérience politique. « Dans l’approche des affaires de l’État [Donald Trump partait] de zéro, avec une culture politique qui était proche de zéro. Ce qui veut dire que les mécanismes internationaux, il [en] avait une incompréhension totale. »
Comme plusieurs aux États-Unis, Alain Charbonnier craint « l’après-élection » et les réactions si c’est Joe Biden qui l’emporte, sauf si le résultat est décisif. « S’il y a une différence importante et qui, au-delà de toute contestation, fait que le résultat est clair, je ne pense pas qu’il y aura des difficultés. »
Alain Charbonnier ne s’étonne plus de rien. Il évoque, en cas de défaite du président, un scénario entendu voulant que Trump réussisse à échapper aux poursuites contre lui par un coup digne des maitres aux échecs : en démissionnant avant l’assermentation de Biden.
« Peut-être qu’il essaiera de faire ça pour demander à son ancien vice-président de l’absoudre d’un certain nombre de crimes. On pourrait tout voir parce que, bon, jusqu’ici, on est dans du jamais vu dans plein, plein, plein de sujets. On peut tout imaginer. »
Nathan Rabalais et le gombo politique louisianais
Professeur et chercheur au Centre d’études louisianaises de l’Université de Louisiane à Lafayette, Nathan Rabalais est également poète et a réalisé un documentaire, Finding Cajun, sur l’évolution de l’identité cadienne en Louisiane.
Spécialiste de la Louisiane francophone, Nathan Rabalais souligne que les allégeances dans ce groupe varient beaucoup avec la langue, l’âge et l’ethnie.
(Courtoisie Nathan Rabelais)
C’est un spécialiste de la Louisiane francophone, à ne pas confondre avec les Cadiens ; seulement une minorité de ceux-ci parlent français, et plusieurs francophones de Louisiane ne sont pas Cadiens.
Dans cet État très républicain, la division politique est à la fois un fait de génération et de langue.
« La population francophone en Louisiane est hétéroclite, explique Nathan Rabalais. Les francophones qui sont plus âgés seraient peut-être majoritairement républicains. Il y a aussi beaucoup de Cadiens qui ne parlent pas français. »
« Puis, tu as des jeunes qui sont beaucoup plus impliqués dans le mouvement pour développer le français et qui sont souvent plus progressistes et libéraux. Il y a aussi beaucoup de francophones et créolophones de couleur, et on sait que les Noirs aux États-Unis ont plutôt tendance à voter pour les démocrates. Donc, on ne peut pas vraiment généraliser en parlant des francophones en Louisiane! »
Nathan Rabalais souligne que sa propre identité politique n’est pas tout à fait claire : « Moi-même, je ne sais pas si je suis vraiment démocrate parce que je trouve que le parti n’est pas suffisamment progressiste. Mais je ne m’identifie pas du tout avec le Parti républicain d’aujourd’hui! Ce qui se passe avec Trump et la gestion de la crise sanitaire, c’est la catastrophe. Si Trump n’est pas réélu, je pense qu’il sera très difficile pour le parti de se retrouver une identité. »
Claire-Marie Brisson s’inquiète que son pays se referme encore plus
Claire-Marie Brisson est née et a grandi à Détroit. Elle parlait français à la maison, mais a fréquenté l’école anglaise. Doctorante à l’Université de Virginie, elle a fondé et anime un balado bilingue intitulé The North American Francophone podcast. Elle est aussi collaboratrice pigiste pour Radio-Canada.
« Être Américain en ce moment, c’est déprimant, souligne-t-elle. J’espère que le gagnant sera Biden, mais on verra. J’ai quand même peur. »
Pour la productrice de balado originaire du Michigan Claire Brisson « être Américain en ce moment, c’est déprimant ». (Courtoisie Claire-Marie Brisson)
Claire-Marie se dit modérée et n’est pas nécessairement attachée à un parti. Elle aimerait que les aspirants à la présidence fassent davantage de démarches pour rapprocher les deux partis et mieux travailler ensemble. Elle estime que Joe Biden allait en ce sens-là au début de sa campagne, mais qu’il s’est déplacé plus à gauche pour plaire à une partie de son électorat.
Mais un deuxième mandat de Donald Trump serait bien pire, selon elle. « Le discours actuel est vraiment “les États-Unis contre tout le monde”. C’est dans la même perspective de “build the wall”, de nous fermer, de fermer les États-Unis et de rebâtir un pays qui est axé sur lui-même, culturellement, économiquement et socialement. »
Cécile Houry craint pour les droits des femmes et des minorités
La Française Cécile Houry est venue étudier en Floride il y a vingt ans et n’est jamais repartie. Habitant Miami, elle est employée civile au département des services aux victimes pour le corps policier de Miami Beach, la ville voisine. Et c’est une ardente militante pour Joe Biden.
« C’est inadmissible qu’on ait un président comme ça, affirme-t-elle. Un recteur d’université, un maire ou qui que ce soit qui dirait les choses que Trump dit régulièrement serait viré le lendemain. On accepterait ça de personne [d’autre]! »
Cécile Houry et sa fille Lilou font la pose devant l’effigie du candidat démocrate, Joe Biden, et de sa colistière, Kamala Harris. (Courtoisie Cécile Houry)
La confirmation récente de la juge Amy Barrett à la Cour suprême lui fait craindre pour les droits des femmes et de la communauté LGBTQ. « Moi, j’ai adopté une fille il y a deux ans, toute seule. C’est peut-être quelque chose que d’autres ne pourront pas faire plus tard. En tant que lesbienne, je pourrais perdre mon travail dans certains États. »
Cécile Houry participe à des activités pro-Biden en brandissant des pancartes sur le trottoir avec sa fille. « J’espère que Biden va gagner, mais je pense que ça sera plus serré que ce que disent les médias. Je pense que ce serait beaucoup mieux pour le pays. »
Elle craint elle aussi des troubles après que les résultats du vote seront connus. « C’est vrai que ça fait assez peur. C’est quelque chose qu’on a en tête. Par exemple, avant, je serais peut-être allée célébrer la victoire avec d’autres gens. Il y a la pandémie en plus, mais je pense que cette année, je n’irai pas célébrer dans des endroits publics avec plein de gens. »
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